372                         HISTOIRE DE LA TAPISSERIE
put être donné suite à ce projet. La détresse du royaume ne le permettait pas. ll faudra bien des années aux fabricants d'Au­busson pour se relever de leur chute.
Cependant le métier de basse lice ne cessa jamais complète­ment d'être en usage dans la province qui lui devait sa principale ressource. On manque de données précises sur la quantité de ten­tures sorties de ces ateliers modestes; mais, si on songe que plu­sieurs milliers d'ouvriers vivaient de la tapisserie, tant à Aubusson qu'à Felletin, à Bellegarde et dans les villages avoisinants, on peut se faire une idée de la production considérable de ces modestes manufactures provinciales.
Quand on parcourt les inventaires des églises ou des simples par­ticuliers au siècle dernier, on rencontre dans les plus pauvres pa­roisses, dans les plus modestes ménages, quelques pièces à sujets religieux ou à verdures. Si les belles tentures des manufactures royales sont exclusivement réservées aux palais et aux châteaux princiers, les pièces tissées à Aubusson étaient accessibles aux fortunes les plus modiques, et bien peu de bourgeois se refusaient le luxe d'une ou deux chambres garnies de tapisseries d'Auvergne.
Trop pauvres pour payer des modèles, les entrepreneurs de la Marche se contentaient ordinairement de copier les sujets en vogue. Aubusson avait la spécialité des compositions à person­nages, tandis que Felletin, faute d'ouvriers habiles, n'osait guère s'aventurer hors du genre des verdures. La plupart du temps, des gravures grossièrement coloriées leur servaient de types; le même sujet était répété indéfiniment quand il obtenait quelque succès auprès des clients.
Nous avons rencontré plus d'une fois des pièces de l'Histoire d'Alexandre, d'après Le Brun, sorties, sans doute possible, des fabriques marchoises.
Il ne faudrait pas croire cependant que ces humbles artisans fussent incapables d'un effort plus sérieux quand un client exi­geant et riche faisait appel à leur habileté. Nous avons déjà relevé, dans l'inventaire du mobilier de la couronne, la pièce, rehaussée d'or et de soie, représentant l'Élément de la Terre, d'après Le Brun, qui provenait d'un atelier d'Aubusson. C'est probablement cette tapisserie qui fut payée 1,080 livres, d'après les comptes des bâtiments royaux pour 1666, à Jacques Bertrand, ce délégué de l'industrie aubussonnaise venu à Paris, l'année précédente, pour